Le Boogie-Woogie est-il du swing ?
Une question de famille
Parmi les nombreuses danses issues de la grande famille du swing, le Boogie-Woogie occupe une place à la fois centrale et singulière. Né dans le tumulte des années 1930-1940, son nom évoque immédiatement une musique enlevée, rythmée, une atmosphère festive. Mais le Boogie-Woogie, tel qu'on le danse aujourd'hui en Europe, est-il réellement une danse swing ? Pour répondre, il faut se plonger dans ses racines musicales, ses évolutions chorégraphiques et son positionnement dans le paysage actuel des danses sociales.
Les origines musicales du Boogie-Woogie
Le Boogie-Woogie, à l’origine, est un style de piano blues apparu aux États-Unis à la fin du XIXe siècle. Il prend véritablement son essor dans les années 1920-1930, porté par des pianistes afro-américains tels que Meade "Lux" Lewis, Albert Ammons ou Pete Johnson. Le Boogie-Woogie se distingue par une main gauche obstinée, jouant un motif rythmique syncopé et répétitif (souvent une walking bass), et une main droite improvisant des phrases rapides et dynamiques.
Musicalement, il appartient au blues, mais il est influencé par le ragtime et anticipe en partie le rhythm and blues et le rock’n’roll. Sa popularité explose dans les années 1938-1939, notamment grâce au fameux concert From Spirituals to Swing organisé par John Hammond au Carnegie Hall, où le public blanc découvre ces rythmes effrénés venus du monde afro-américain.
Le Boogie-Woogie et le swing en musique
Le swing, en tant que courant musical, naît dans les années 1930 avec les grands orchestres de jazz. Count Basie, Duke Ellington, Chick Webb ou Benny Goodman font swinguer l’Amérique avec des orchestrations sophistiquées, un groove inimitable, et une pulsation ternaire qui invite à la danse.
Le Boogie-Woogie, de son côté, n'est pas issu de ces big bands, mais partage avec eux une caractéristique essentielle : l’appel irrésistible à la danse. Dans de nombreux morceaux, le rythme est assez proche, et il n’était pas rare que des orchestres swing intègrent des passages boogie, voire des pianistes spécialisés dans ce style.
On peut donc dire que le Boogie-Woogie est musicalement compatible avec le swing, bien que ses racines se trouvent plutôt dans le blues et le boogie-blues que dans le jazz swing au sens strict.
Et côté danse ?
C’est dans la danse que les choses se compliquent. Le terme "Boogie-Woogie" désigne aujourd’hui, principalement en Europe, une danse de couple très codifiée, proche du rock’n’roll, dansée sur des musiques swing, boogie ou rock. Cette danse, telle qu’enseignée en France ou en Allemagne, ne provient pas directement des bals afro-américains des années 30, mais a été structurée dans les années 1950-60 en Europe, puis institutionnalisée dans le circuit des compétitions.
Le Boogie-Woogie dansé contemporain est souvent basé sur six temps, avec des techniques empruntées au Lindy Hop, mais aussi au rock acrobatique. Il conserve une attitude swing dans son interprétation musicale, ses rebonds, sa connexion, mais sa pratique est aujourd’hui très différente de celle des danses swing sociales comme le Lindy Hop, le Balboa ou le Shag.
Danse swing ou pas ? Une affaire de définition
Si l’on définit les danses swing comme étant celles issues directement de la culture afro-américaine des années 1920 à 1940 (notamment Harlem), le Boogie-Woogie dansé moderne n’en fait pas partie. Il ne fut pas dansé dans les Savoy Ballrooms ou dans les clubs de jazz new-yorkais.
Cependant, si l’on élargit la définition aux danses de couple issues du même tronc culturel, partageant des fondamentaux rythmiques, un esprit d’improvisation et une musique swinguée, alors le Boogie-Woogie peut être considéré comme une danse swing tardive, européenne, influencée par le swing, mais distincte dans sa forme et son histoire.
Boogie-Woogie et rock’n’roll : une filiation étroite
Le Boogie-Woogie moderne a beaucoup emprunté au rock’n’roll, notamment dans les figures, les tours rapides, l’attitude scénique. Beaucoup de danseurs pratiquent d’ailleurs les deux, et les compétitions internationales de Boogie-Woogie (notamment en Allemagne ou en France) ressemblent souvent à du rock’n’roll stylisé.
La Fédération Mondiale de Danse Rock’n’Roll (WRRC) a joué un rôle crucial dans la standardisation du Boogie-Woogie en compétition, en imposant des critères techniques, des tempos précis, des figures codifiées. Cela a permis une reconnaissance institutionnelle, mais a aussi éloigné cette danse de l’improvisation libre qui caractérise les danses swing sociales.
Le Boogie-Woogie dans les scènes swing actuelles
Dans certaines soirées swing, notamment en Europe, le Boogie-Woogie cohabite avec le Lindy Hop ou le Balboa. Mais sa présence est plus rare dans les scènes swing américaines, qui privilégient les danses historiques issues de Harlem ou de la côte Ouest.
Des danseurs comme Thomas Audon & Sophie Allaf, Nils Andrén & Bianca Locatelli ou Marcus & Bärbl ont contribué à faire rayonner cette danse sur la scène internationale, en mêlant rigueur technique et musicalité swing.
Le Boogie-Woogie, un cousin du swing, mais pas un frère
Le Boogie-Woogie n’est pas à proprement parler une danse swing au sens historique du terme. Il n’est pas né dans les années 30 à Harlem, ni dans les clubs de jazz afro-américains. Mais il partage avec les danses swing une musicalité commune, une structure rythmique apparentée, et surtout, un plaisir de danser sur des musiques swinguées.
Il serait donc plus juste de dire que le Boogie-Woogie est une danse issue de la tradition swing, mais réinterprétée en Europe, avec des apports du rock, de la compétition, et une histoire propre. Il fait partie du paysage swing par affinité et par adoption, plus que par filiation directe.